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Ignacio Cembrero : « Le gouvernement espagnol s’est fait rouler par le Maroc »

Ignacio Cembrero : « Le gouvernement espagnol s’est fait rouler par le Maroc »

Les élections législatives en Espagne sont prévues vendredi 23 juillet. Le journaliste espagnol Ignacio Cembrero, spécialiste des relations de l’Espagne avec les pays du Maghreb, livre pour TSA les scénarios probables pour l’issue du scrutin et les conséquences d’un éventuel changement de gouvernement à Madrid sur les relations avec l’Algérie et le Maroc.

Quels sont les scénarios possibles pour l’issue des élections législatives espagnoles du 23 juillet ?

Le scénario le plus probable, c’est que le parti de droite, le Parti populaire, gagne l’élection et que les socialistes perdent le pouvoir. Il reste à savoir si le parti conservateur aura besoin du soutien de l’extrême-droite pour gouverner. Le parti d’extrême-droite Vox, de par le nombre de députés dont il dispose, est aujourd’hui la troisième formation politique d’Espagne.

Donc Pedro Sanchez quittera le pouvoir le 23 juillet ?

Ce n’est pas très sûr, on le saura le 23 juillet au soir. C’est en tout cas l’hypothèse la plus probable. Tous les sondages ou presque le donnent perdant face à la droite.

La crise avec l’Algérie est-elle pour quelque chose dans le recul du Parti socialiste ?

Je ne dirais pas la crise avec l’Algérie, mais plutôt la relation avec le Maroc. C’est en tout cas ce qui est ressorti du grand débat hier soir (entretien réalisé lundi, ndlr). Il y a eu un changement dans la politique étrangère de l’Espagne vis-à-vis du Maroc et surtout vis-à-vis du Sahara occidental.

C’est un sujet qui est revenu à plusieurs reprises lors de la campagne électorale, notamment dans le grand débat hier soir entre le leader du Parti populaire et le président du gouvernement sortant.

Donc on parle par ricochet de l’Algérie. Mais on parle surtout du changement de position du gouvernement socialiste sur le conflit du Sahara occidental en apportant son appui à la solution que préconise le Maroc, qui est le plan d’autonomie.

Certains observateurs estiment que tant que Pedro Sanchez et José Albares sont au pouvoir en Espagne, il n’y aura pas de retour à la normale avec l’Algérie.

La crise entre l’Espagne et l’Algérie prendra-t-elle fin avec un changement de gouvernement à Madrid ?

Je n’ai pas d’informations précises mais j’ai l’impression que l’Algérie ne se contentera pas d’un changement de majorité et de gouvernement en Espagne.

Je pense qu’elle souhaite qu’il y ait un geste réconciliateur, une main tendue de la part du nouveau gouvernement montrant qu’il y a un souci de rééquilibrer la politique étrangère espagnole envers les deux voisins du Maghreb, ce que l’actuel gouvernement socialiste n’a pas fait.

Le leader de la droite a-t-il pris un engagement pendant la campagne électorale de rétablir la relation avec l’Algérie en cas de victoire ?

Oui, le leader de la droite s’est exprimé à plusieurs reprises pendant la campagne électorale, disant que l’une de ses priorités est de rétablir la relation avec l’Algérie, mais aussi de maintenir une relation étroite avec le Maroc. Mais il n’est pas allé au fond du sujet.

Il n’a pas dit si, en cas d’accession au pouvoir, il allait revenir à une position équidistante comme celle qu’a pu avoir l’Espagne jusqu’au mois de mars de l’année dernière.

Je pense qu’il est resté ambigu. Il se retranche toujours derrière le fait qu’il ne sait pas sur quoi s’est engagé le gouvernement de Pedro Sanchez envers le Maroc. Ce qui est vrai, puisque le gouvernement n’a jamais rendu publique la lettre qu’il a envoyée au roi du Maroc dont on a pris connaissance à travers un communiqué du Palais royal marocain.

Il dit qu’une fois qu’il aura pris connaissance de ce qu’on fait les socialistes, il agira, mais pour l’instant, il ne s’est pas prononcé sur le fond. C’est une chose très importante, faire un geste envers l’Algérie c’est s’attendre à ce que le Maroc déclenche immédiatement une crise avec l’Espagne.

Un nouveau chef de gouvernement qui arrive sans aucune expérience internationale, je pense qu’il n’aura pas envie de commencer son mandat par une crise avec le Maroc. Je pense qu’il va prendre son temps et laisser venir les choses.

C’est un avis personnel, je n’ai pas d’informations là-dessus, mais je pense qu’il y aura une excellente occasion de revenir à une position équidistante lorsque la Cour européenne de justice rendra ses arrêts définitifs, sans doute vers la fin de l’année, qui vont annuler les accords de pêche et d’association avec le Maroc car ils incluent le Sahara et occidental.

Je pense que ce sera une excellente occasion pour le prochain gouvernement espagnol de droite de faire machine arrière et revenir à une position plus équidistante que celle des socialistes.

Quel crédit peut-on accorder à ce qui se dit à propos d’un éventuel chantage exercé par le Maroc sur Pedro Sanchez ?

Je n’accorde aucun crédit à cette hypothèse et je vais expliquer pourquoi. Je suis certain que ce sont les services marocains qui ont espionné avec le logiciel Pegasus les téléphones du président du gouvernement espagnol, du ministre de l’Intérieur et de la ministre de la Défense. Ils ont tenté aussi de pirater le téléphone du ministre de l’Agriculture mais apparemment ils n’ont pas réussi à le faire.

Le ministre de l’Agriculture a été pendant longtemps ambassadeur d’Espagne à Rabat et c’est quelqu’un qui est très consulté par le gouvernement espagnol.

Chaque jour, on a davantage d’indices qui pointent le Maroc. Cela dit, je ne crois pas à l’hypothèse du chantage. Parce que le Maroc a toujours nié systématiquement avoir utilisé Pegasus.

On sait à travers les déclarations de Tahar Ben Jelloun que la France et le Maroc se sont fâchés parce que Macron a reproché au roi Mohamed VI de l’avoir espionné. Le Maroc m’a traîné en justice en Espagne parce que j’ai dit que j’étais un objectif des services marocains avec Pegasus.

Utiliser tout ce qu’ils ont pu obtenir de ce portable c’est une façon de reconnaître qu’ils ont espionné avec Pegasus, or le Maroc a toujours démenti. Ensuite, utiliser ce qu’ils ont pu obtenir c’est une façon d’avouer qu’ils sont en train d’espionner et de mettre en alerte les services de sécurité espagnols pour blinder et perfectionner les systèmes de sécurité des portables, etc.

Pour toutes ces raisons, je suis persuadé que le Maroc est derrière ces opérations mais je ne crois pas qu’ils se soit servi du matériel obtenu pour faire le moindre chantage à qui que ce soit.

Mais le revirement de mars 2022 est très spectaculaire. Peut-on l’expliquer seulement par les marchandages sur les deux enclaves de Ceuta et Melilla et la question migratoire ?

Je crois qu’il y a un mélange de plusieurs facteurs. C’est une affaire qui a été conduite par la présidence du gouvernement sans se référer aux Affaires étrangères qui auraient recommandé une plus grande prudence.

Albares (José Manuel, le ministre des Affaires étrangères) a sans doute été informé à la dernière minute mais c’est une affaire qui a été conduite par un cercle très restreint à la présidence avec la participation de Miguel Angel Moratinos, ancien ministre espagnol des Affaires étrangères et actuellement représentant à l’Alliance des civilisations des Nations-Unies, qui est un homme très proche du Maroc et des autorités marocaines.

Je crois qu’ils ont été naïfs, ils avaient seulement le souci de clore rapidement cette crise avec le Maroc après ce que j’appelle l’invasion pacifique de Ceuta au mois de mai 2021. Ils se sont rendus compte que le Maroc était capable de mener une guerre hybride contre l’Espagne avec l’immigration.

D’un point de vue espagnol, le pire ça n’a pas été de changer de position mais d’avoir fait cette énorme concession aux autorités marocaines sans obtenir aucune contrepartie, sauf, jusqu’au mois de mai dernier, une diminution de l’immigration qui arrive aux îles Canaries.

Mais cette diminution est réversible en Espagne en quelques heures. La preuve, au mois de mai, les chiffres sont très mauvais à nouveau avec près de 2 800 immigrants illégaux arrivés aux Canaries. Chose très importante, la plupart de ceux qui sont arrivés venaient du sud du Maroc.

L’Espagne n’a donc rien obtenu du Maroc et a beaucoup perdu avec l’Algérie…

Ils ont obtenu des promesses du Maroc, notamment l’ouverture d’une douane à Ceuta et une autre à Melilla, mais jusqu’à aujourd’hui ces postes ne sont pas ouverts, et ils n’ouvriront pas. Je pense que le gouvernement espagnol s’est fait rouler par le Maroc parce que dans la pratique, il n’a rien obtenu.

Pour les effets de la crise avec l’Algérie, ça concerne surtout certaines régions tournées vers l’Algérie comme Valence ou Murcie. Les exportations ont diminué de l’ordre de 96 ou 97 %, donc la chute est brutale, les entreprises espagnoles ne peuvent pas participer à des offres en Algérie.

Ce n’est pas légal en vertu de l’accord d’association avec l’Union européenne mais comme c’est fait habilement, ça fonctionne sans qu’il y ait de réaction de Bruxelles. Aussi, aujourd’hui, l’Algérie a une plus grande importance stratégique à cause notamment de la guerre en Ukraine et les besoins en hydrocarbure de l’Europe. Ce n’est pas le moment de chercher noise à l’Algérie.

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